Instinct [Louve/Morrigan] - Terminé

Après six longs mois d'errance à travers les Continents, découvrant encore et encore, profitant de ce que la Terre pouvait lui donner, et investie à l'occasion de quelques missions minimes (accompagner des caravanes, des marchands, des individus à travers les Continents), Louve revenait aux Engloutis.

Durant ses déplacements, quelques jours plus tôt, elle avait entendu parler de l'embuscade dans laquelle le Duc et la Duchesse des Engloutis avaient été pris. Et tués. Bien qu'elle ne ressente guère de tendresse pour ceux-ci, se méfiant ouvertement d'elle et désapprouvant son mode de vie, elle savait au fond d'elle que Morrigan, la petite Morrigan, sa protégée, aurait besoin d'elle. La douleur, le désespoir, la rage, Louve connaissait. Mais pas elle... Et si elle avait pu, elle aurait elle même accompagner le couple ducal durant leur voyage pour empêcher cet accident.

Mais c'était trop tard... Ils étaient bel et bien morts.

Louve marchait à grand pas, traversant les couloirs illuminés de centaines de bougies qu'elle avait parcourus mille fois. Mais aujourd'hui, les murs de pierre étaient tendus de toile noir, annonçant le deuil du château. L'ambiance était moins chaude, plus morbide, et elle ressentait le malaise des habitants s'infiltrer sous sa peau dans une sensation particulièrement désagréable... Il était tard, tout le monde était rentré dans ses appartements, mais le silence n'était qu'une illusion. Personne ne dormait vraiment...

Louve frissonna et ramena sur elle sa peau de loup, s’emmitouflant dans la chaleur de sa cape. Elle revenait du Continent Est où la chaleur humide vous collait à la peau, mais elle n'avait pas pris le temps de s'acheter des habits plus adaptés... Un pantalon volatile et transparent, une brassière légère, des spartiates solides, le strict minimum, une ceinture avec sa bourse, et ses armes dans le dos, voilà tout ce qu'elle portait. Pas idéal pour le climat pluvieux qui régnait ici...

Arrivant devant une porte à double battant, Louve soupira. Elle sentait d'ici les émotions complexes qui ensevelissaient la jeune femme de l'autre côté de la porte... Colère... Résolution... Et tout au fond, de la douleur...

Poussant un des battants, Louve pénétra dans la suite, glissant de pièce en pièce avec l'agilité que donnait l'habitude. Enfin, elle atteint sa chambre, spacieuse mais intimiste, décorée de dizaines de bougies et de lanternes, là où l'odeur de jasmin de Morrigan se faisait la plus forte. Rien n'avait changer. Les mêmes meubles de bois sombre, les bouquets de fleur sauvage trônant sur la commode, le coin du bureau...

Avançant dans la pièce, Louve observait la jeune fille allongée sur le ventre, ses longs cheveux d'un noir de jais ruisselant sur ses épaules jusqu'aux couvertures damassées. Vêtue d'une nuisette très minimaliste, d'un blanc presque transparent, ses longues jambes dénudées croisées dans son dos, elle était magnifique.

Louve resta quelques secondes à la contempler, appuyée contre un des montants de son lit à baldaquin. Son regard glissa sur ses épaules dénudées, sa taille fine, la ligne de son dos, ses jambes qui lui donnaient des idées licencieuses... Elle avait bien changé depuis la première fois qu'elles s'étaient rencontrées. Le petit lutin qui lui arrivait à la taille, et qu'elle avait pris dans ses bras pour la ramener jusqu'au château avait fait place une belle, une délicieuse jeune femme...

Louve laissa un petit soupir s'échapper d'entre ses lèvres. Tout allait être différent désormais...

Sa Majesté avait beau dire, Morrigan n'avait aucune intention d'occuper la suite de ses parents. C'aurait été morbide... Elle aurait eu l'impression de leur voler leurs affaires. Déjà, elle traînait partout avec elle la dague de son père, héritage du premier Duc de Curran, et le pendentif de sa mère, un bijou Nordique. Pâles substituts de ses parents, les objets avaient au moins le mérite de la rassurer...
C'étaient toujours les dernières choses dont elle se séparait le soir, les premières qu'elle reprenait le matin. La seule chose qu'elle ne quittait jamais c'était l'anneau précieux qui pendait à un cordon de cuir passé à son cou. Seul indice quant à l'embuscade qui avait coûté leur vie à ses parents, Morrigan était littéralement obsédée par l'objet. Elle connaissait tous les bijoux de sa mère et cela n'en faisait pas partie. C'était d'ailleurs sur le corps de son père qu'on l'avait retrouvé.

Depuis qu'elle était duchesse, le sommeil la fuyait. Jusque tard dans la nuit, les bougies brûlaient tout autour de son lit et pour ne pas penser à sa solitude, elle se perdait dans les mots qui défilaient devant ses yeux. Ses parents n'étaient plus là, ses amis... ses amis la fuyaient ou espéraient d'elles des choses qu'elle ne pouvait pas leur offrir... Le souverain avait mille choses à faire, toute bien plus importantes que de s'occuper d'une orpheline. D'autant qu'elle n'était pas vraiment miséreuse. Parmi les personnes les plus puissantes du royaume, Morrigan n'avait pas à se soucier de son bien-être personnel. Elle disposait de terres, d’œuvres d'art, de vassaux qui reversaient un impôt juste et régulier...
Oui, mais elle était toute seule. Elle voulait Louve. Depuis qu'elle était toute petite, Louve veillait sur elle et la consolait et la protégeait... Certes elle était souvent absente et Morrigan n'attendait rien d'elle. Mais maintenant, alors que le monde changeait autour d'elle pour la projeter dans un inconnu froid et solitaire, elle voulait le réconfort de cette présence familière.

Morrigan n'avait pas vu Louve depuis de longs mois. Ce n'était pas rare et la jeune fille vivait très bien sans elle. Elle se demandait parfois ce que devenait la maître d'arme, mais elle se doutait qu'elle faisait toutes sortes de choses fascinantes. Elle n'avait donc aucun mal à comprendre que Louve l'oublie pendant ces semaines... Jusqu'à ce jour, Morrigan avait simplement l'habitude d'apprécier sa présence, quand elle était là, sans se languir d'elle pendant ses absences. Ce soir-là, de lourds soupirs lui échappaient, faisant voleter les mèches sombres qui encadraient son visage.
Comme répondant à son invocation, Louve apparut dans sa chambre. Morrigan n'en eût pas conscience jusqu'à ce qu'elle entende le bruit léger de son soupir. Elle cligna un instant des yeux, perdue. Jusque là plongée dans sa lecture, elle avait été totalement ignorante du monde qui l'entourait. Quand ses yeux repérèrent la silhouette évanescente de Louve, elle crût rêver. Un battement de cœur plus tard, Morrigan sautait de son lit avec un petit cri fort peu digne d'une duchesse. Elle courut se jeter dans ses bras. Ou plus exactement à son cou, enfouissant le nez au creux de son épaule.

Louve était toujours aussi belle, grande et douce que lors de leur première rencontre, quand elle l'avait trouvée, perdue dans les marais en pleine nuit. Morrigan n'avait pas eu peur alors, mais l'arrivée de Louve l'avait rendue heureuse. Aujourd'hui, la jeune fille se sentait bel et bien perdue, même si elle ne l'aurait jamais avoué. Louve lui apparaissait telle un ange salvateur.
- Louve ! l'accueillit-elle.
Et ce simple mot traduisait toute sa joie, tout son soulagement de la revoir précisément aujourd'hui. Cédant à ses pulsions affectueuses, elle déposa de petits baisers exubérants sur les joues de la jeune femme.

Les lèvres de Louve s'étirèrent en un fin sourire alors qu'elle refermait ses bras sur le corps gracile de la jeune femme, respirant à pleins poumons sa délicate odeur de jasmin. Dire qu'elle ne lui avait pas manqué aurait été mentir... Elle était trop heureuse de voir à nouveau la jeune femme qu'elle était devenue...

Un léger rire cristallin s'échappa de sa gorge alors que, pleine d'enthousiasme, Morrigan la couvrait de baisers. La soulevant aisément dans ses bras, Louve la fit tourner dans l'air, aussi heureuse qu'elle de pouvoir la voir, l'entendre et la toucher à nouveau. Toujours dans cette position, elle enfouit son nez dans le cou de la jeune femme, retrouvant cette sensation d'être à sa place, là où on l'attendait et où on l'aimait... Frottant légèrement sa joue contre sa peau, elle remonta à son visage et lui sourit, la reposant à terre pour embrasser délicatement la peau pâle de sa joue.

- Je suis là, chuchota-t-elle tendrement en replaçant une mèche derrière l'oreille de sa protégée.

D'une pression de la main sur son dos, elle l'incita à s'asseoir sur le lit, s'agenouillant devant elle et glissant ses mains autour de ses chevilles pour les caresser du bout des doigts. En sa présence, elle ne pouvait s'empêcher ces gestes intimistes, et même si elle avait appris à passer outre l'envoûtement pesant sur la jeune femme, il subsistait toujours ce charme qui l'attirait vers elle irrésistiblement.

Louve avait toujours apprécié Morrigan, la considérant comme une fille, une soeur, une amie, le long de son évolution. Aujourd'hui, elle ne définissait plus si simplement leur relation, tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait besoin d'elle, et besoin de la savoir en vie et heureuse...

- Je ne pars pas, ajouta-t-elle en plongeant son regard clair dans le bleu sombre de ceux de la jeune femme. Tant que tu auras besoin de moi, je serais là...

Louve laissa échapper un petit rire. Son lutin... Fier et indépendant, même face à une des pires pertes qui puisse exister... Elle sourit tendrement alors que Morrigan enroulait ses doigts autour de ses mèches, jouant avec comme elle l'avait fait dans ses bras, cette première nuit où elle l'avait ramenée au Château...

Peu importait ce qu'elle pouvait dire, Louve lui accorderait toujours ce qu'elle désirait. Elle savait que, dotée de son nouveau statut, elle était à la fois plus forte et plus fragile. Forte, parce que le roi était plus près d'elle qu'il ne l'avait jamais été. Faible, parce que sa jeunesse et son inexpérience la placeraient en proie des vautours qui voudraient la manipuler pour prendre sa place.

Mais elle ne laisserait pas faire, et elle savait que Morrigan était suffisamment intelligente pour éconduire les indigents qui désiraient s'accaparer son titre.

Louve la connaissait, peut-être mieux que personne, puisqu'elle était une des rares personnes qui l'avait accompagnée tout au long de sa vie, sans être repoussée pour avoir cédé à son don de Glamour. Morrigan était avide de connaissances, elle voulait de l'aventure, de l'expérience, et pas forcément pour sa plus grande sécurité. Quoi qu'elle dise, Louve était persuadée qu'elle aurait besoin d'elle pour la protéger et l'extirper des embrouilles dans lesquelles elle aurait su se mettre.

Hésitant un instant à lui présenter ses condoléances, Louve renonça finalement. Elle savait, et Morrigan savait qu'elle savait. Quoi de plus ? Un simple "je suis désolée" ne changerait rien. Juste à raviver la mémoire d'une perte douloureuse. Et Louve avait traversé cette peine suffisamment de fois pour savoir qu'il était inutile d'en rajouter une couche.

Ce qu'elle ne dirait pas par les mots, elle le ferait par les gestes, en la secondant, en l'aimant, et en étant là quand elle le voudrait bien.

Toujours un tendre sourire sur les lèvres, elle glissa ses mains au creux de ses genoux et posa sa tête sur ses cuisses, en soupirant légèrement. Elle faisait confiance à si peu de gens, que ce simple geste, accordé à Morrigan et Morrigan seule relevait du pur abandon. Pourtant elle aimait cette impression de calme, de confiance, de douceur, comme si elle était enfin chez elle, dans sa famille... La seule qui lui restait.

Comme à chaque fois qu'elle pensait à ses enfants, même après plusieurs siècles, les larmes embuaient son regard. Elle les chassa bien vite, satisfaite que ses longs cils interdisent à sa protégée de les voir.

- Je resterais, chuchota-t-elle, sa joue contre le genou de la jeune femme. Moi... Moi, j'ai besoin de toi...

Il n'était pas facile d'avouer une telle évidence, mais six long mois avaient passé depuis que Louve était partie, un beau jour, après trois mois restée à entraîner les gardes du Château. Sur un coup de tête, comme à chaque fois, elle avait accepté une mission et s'était éloignée d'elle, apprenant au général son absence temporaire. Mais cela faisait trop longtemps. Elle avait besoin de la retrouver, de se retrouver chez elle, ce cocon de sécurité relative qui la faisait se sentir humaine.

Relevant la tête vers le beau visage de Morrigan, elle laissa son regard se perdre sur ses longs cheveux lisses, sa peau pâle, ses lèvres appétissantes, avant de se fixer sur ses yeux ensorcelants.

- Tu m'as manquée, ajouta enfin Louve.

Frissonnant sous la caresse de ses mains, Morrigan soupira de plaisir en sentant la chaleur de son souffle sur ses cuisses à travers le fin tissu de sa chemise de nuit diaphane. La proximité de Louve la réchauffait mieux que ne l'aurait fait une flambée de bûches de pin ou son édredon en duvet d'oie... Le soulagement la balaya comme une vague. Mais bien vite, elle se rappela qu'elle ne pourrait pas rester éternellement avec Louve. Malgré ce qu'en disait le roi, Morrigan avait bien l'intention de quitter sa tour.
Déjà, elle avait commencé à s'organiser avec le secrétaire de son père. La jeune duchesse lui transmettrait ses instructions concernant la gestion de ses affaires tandis que le secrétaire lui enverraient ses rapports par le biais d'un oiseau dressé pour la trouver où qu'elle soit. Morrigan ne comprenait pas pourquoi le roi protestait autant face à ses projets de voyages. Ses parents étaient eux-même souvent absents ces dernières années et personne n'y trouvait à redire, le duché était florissant et ils participaient à la diplomatie du royaume. Alors pourquoi aurait-elle dû rester enfermée au château ?

Tandis qu'elle jouait avec les piécettes d'or fin qui décoraient ses cheveux, comme on le faisait sur le continent de l'Est, lissant ses mèches, Morrigan songea distraitement à tous les endroits où elle avait voyagé. Bientôt ce serait son tour à elle de voir le monde. Mais elle n'osa rien dire à Louve de ses projets. Sûrement tenterait-elle de la dissuader. Ou alors elle déciderait de l'accompagner, sûrement se sentait-elle un peu responsable... Morrigan ne voulait pas que Louve se sente obligée de renoncer à sa vie telle qu'elle la connaissait juste pour la baby-sitter.
La maître d'armes disait avoir besoin d'elle, mais c'était sûrement pour justifier qu'elle restait. Louve n'était certainement pas dupe des protestations d'indépendance de la jeune fille et ménageait sa fierté en disant que c'était elle qui voulait rester à ses côtés. Néanmoins, elle voulait bien croire qu'elle lui avait manqué. Assurément, Louve devait bien avoir un peu d'affection pour elle.

Avec des gestes délicats, Morrigan dégagea le bijou des longues mèches pâles et s'amusa avec en admirant le reflet des bougies sur le métal. Elle le lança sur l'une de ses tables de nuit, il atterrit dans un cliquètement sur le bois précieux. Avec un sourire qu'elle forçait tout de même un peu, elle se pencha pour frotter son nez contre celui de Louve, comme elle le faisait étant enfant.

- Toi aussi tu m'as manquée.

A présent que le bijou n'était plus là pour la gêner, elle glissa ses doigts dans la masse soyeuse de ses cheveux. Elle lui prit les mains et lui écarta les bras, reculant pour admirer la jeune femme agenouillée devant elle. La brassière mettait en valeur les courbes de sa poitrines et son ventre plat, et son pantalon dévoilait plus qu'il ne cachait ses longues jambes, un foulard immaculé drapé sur ses hanches devait être la seule chose qui l'avait empêchée de déclencher une émeute...
Louve aurait mérité des anneaux d'or à ses chevilles et à ses poignets, des bijoux ornés de pierres précieuses et délicates, comme les vraies natives de l'Est. Morrigan aurait adoré entendre le tintement léger accompagné le moindre de ses mouvements, toujours gracieux et mesuré. Louve maîtrisait toujours parfaitement son corps, Morrigan présumait que c'était grâce à sa longue pratique du combat.

- Tu es magnifique comme ça... L'Est te va bien... Mais je pense que tout te va!

Morrigan lui sourit brillamment, elle était sincère. Louve avait toujours été, avec sa mère, la personne la plus belle qu'elle ait jamais connue. Pour l'avoir vue dans sa tenue d'entraînement comme en tenue de nuit, couverte de poussière comme en uniforme d'apparat, Morrigan savait que sa peau de porcelaine, ses yeux brillants comme des saphir et la soie de ses cheveux constituaient autant de bijoux que rien pas même le sang et la boue ne pouvait altérer.
Elle tapota le haut du crâne de Louve d'un air amusé.

- Tu es sublime vue du dessus. Je n'ai pas l'habitude de ce point de vue mais je pense que je pourrais m'y faire !

Il faut dire qu'avec sa taille relativement petite, Morrigan, même avec des talons, avait l'habitude de se faire dominer par les gens qui l'entouraient. Louve tout particulièrement la dépassait de vingt centimètres. C'était normal et cela ne la traumatisait pas quand elle était petite. A présent, elle craignait que la bannie de continue de la prendre pour une enfant... une idée qu'elle trouvait particulièrement agaçante.

Souriante, Louve se releva gracieusement pour lui faire admirer sa tenue. Bien que portée sur le confortable, elle en restait néanmoins suffisamment enchanteresse. Louve n'était pas coquette, elle aimait juste être à son avantage. Elle n'était pas non plus riche, mais quand elle voulait quelque chose, elle se débrouillait toujours pour l'avoir... A quoi servait la beauté si on ne pouvait pas la mettre en valeur avec toutes les belles choses que les humains s’amusaient à créer ?... Il lui aurait semblé stupide de renier une somptueuse tenue de soie pour porter une serge râpeuse et inesthétique...

Esquissant quelques pas de danse sur une mélodie connue d'elle seule, Louve fit ondoyer le tissu transparent et vaporeux autour de ses jambes. Resserré au niveau des chevilles par une bande de soie cousue d'argent, le pantalon flottait autour d'elle, laissant libre cours à ses mouvements. Seul le châle en soie blanche dont les franges retombaient asymétriquement sur le haut de ses hanches cachait son intimité à peine recouverte d'un sous-vêtement de soie bleue.

A l'Est , Louve avait vu des danseuses, à moitié nues, ondoyer de la même façon, - et même goûté l'une d'entre elles pour tout avouer -, envoûtée par leur danse aussi indécente qu'exquise. Ses pas se rapprochaient assez de ceux-là alors qu'elle tournait sur elle-même en ondulant du bassin.

- Exquis, n'est-ce pas ? murmura-t-elle en revenant près de Morrigan, les cils baissés sur son regard éclatant. Je t'ai ramené quelques souvenirs de là-bas...

La poussant délicatement sur le lit pour qu'elle s'allonge, Louve s'installa sur le ventre à côté d'elle, la regardant avec insistance.

- Alors ? demanda-t-elle plus sérieusement. Où comptais-tu partir ?

Presque hypnotisée, Morrigan regardait Louve onduler sensuellement. Elle entendait presque la musique flotter dans l'air, pouvait presque sentir les effluves exotiques de l'Est. La danse lui faisait tout oublier de sa situation, de la mort de ses parents ou de son prochain départ. Les mouvements de la Bannie étaient plus que suggestifs, Morrigan était assez au fait des choses de ce monde pour en être consciente.
Comme une petite fille, elle faillit applaudir de joie à la mention de ces cadeaux. On aurait pu la juger matérialiste mais Morrigan pensait que si quelqu'un pensait à vous faire un cadeau c'est qu'il pensait à vous. Sans compter qu'elle adorait les jolies choses.

Sans opposer trop de résistance, elle se laissa repousser sur le dos. Avec toute autre personne que Louve, elle se aurait peut-être un peu protesté, ne serait-ce que de se faire imposer une volonté qui n'était pas la sienne. Mais la maîtresse d'armes avait toute sa confiance et ce depuis le jour où elles s'étaient trouvées, seize ans plus tôt.
Ses boucles se répandirent autour de sa tête, tels une auréole sombre. Etendue, une main sur le ventre, l'autre repliée entre elles à côté de son visage, Morrigan avait tourné la tête pour regarder Louve. Ses doigts étaient à quelques centimètres de sa bouche. Elle pouvait sentir son souffle sur sa peau, sa chaleur qui irradiait de tout son corps pour la submerger.

Louve semblait connaître son projet de départ. Morrigan se demanda une seconde comment elle le savait. Mais la question n'était pas très importante : ce qui comptait c'était qu'elle ne voulait pas que son amie essaie de l'empêcher de partir ou s'inquiète. Elle passa sa langue sur ses lèvres et regarda le dais bleu nuit au dessus de son lit. Elle n'avait jamais su mentir, pas même par omission, mais chaque fois qu'elle essayait, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer que cette fois ça marcherait.

- Partir ? A cette heure et dans cette tenue ? Où voudrais-tu que j'aille ? Surtout alors que tu es dans mon lit !

Cela au moins était sincère. Elle tourna de nouveau son visage délicat vers les yeux perspicaces de Louve et lança avec un enthousiasme qui n'était pas feint :

- Parle moi plutôt de ces souvenirs !!

Quelque peu distraite par la langue de Morrigan glissant sur ses lèvres avec une dangereuse innocence empreinte de sensualité, Louve repéra cependant le mensonge quelques secondes avant qu'elle ne le prononce. Non seulement le timbre de sa voix sonnait faux, bien trop innocent, mais elle en plus elle en rajoutait trop, sans compter ses émotions qui clignotaient intérieurement entre la honte, l'espoir, la peur, l'agacement, et elle aurait juré qu'elle rougissait intérieurement.

Appuyant sa joue contre ses bras repliées, Louve eut un sourire goguenard.

- Les souvenirs ?... Peut-être que je te les donnerais quand tu auras fini de me mentir ?... Et quand tu m'auras promis de ne pas te lancer seule à l'aventure.

Louve était consciente que Morrigan n'était pas faite pour être enfermée, et, le protocole n'étant pas vraiment son principale soucis, elle adhérait sans problème à l'idée de la voir découvrir le pays. En revanche, pas sans protection.

Morrigan se battait avec la mollesse d'un poisson en train d'asphyxier, elle en avait confiance pour l'avoir entraînée sans relâche pendant plusieurs mois. Bien qu'elle reconnaisse le caractère combatif de sa protégée, en entraînement, elle n'avait jusque là jamais réussi à la mettre une seule fois en danger, et semblait franchement dégoûtée à l'idée de faire du mal à qui que ce soit. Et ce qu'on ne sait pas faire en entraînement, on ne sait pas mieux le faire en combat réel. Même avec toute l'adrénaline du monde...

C'est pourquoi, si Morrigan partait, elle la suivrait. Où qu'elle aille, Louve serait là pour la sortir d'affaires, et dissuader les gens de s'approcher d'elle. Surtout avec son don de Glamour qui ne manquerait pas d'attirer les personnes les plus étranges et dangereuses de toutes les espèces existantes...

Se tirant sur les coudes pour approcher son visage du sien, son corps quasiment collé à elle, elle posa son front sur le sien et la regarda dans les yeux, dans une attitude faussement menaçante.

- Pas de mensonge avec moi mon lutin... Tu oublies que je sais tout ce qu'il se passe là, susurra-t-elle en effleurant de deux doigts l'emplacement de son coeur, accompagné d'un sourire lascif.

Se penchant sur son cou, elle ne put résister à l'envie de lui souffler à l'oreille dans une attitude franchement décadente, d'une voix basse et vibrante, quelques mots innocents :

- Sans compter que tu as oublié de cacher ton sac de voyage sous ton lit...

Morrigan aurait dû se douter que ça ne marcherait pas avec Louve. Il faut dire que ses mensonges -ou ses omissions- ne fonctionnaient pas avec grand-monde. Mais la plupart des gens avaient la décence de faire semblant de la croire. Ou à tout le moins de ne pas mettre son ducale petit nez dessus en lui signalant avec insistance ses délits. Louve ne prenait pas ces précautions avec elle, sachant pertinemment que si la jeune fille mentait c'était pour tenter de dissimuler quelque chose dont elle savait que les "grands" n'approuveraient pas, par exemple un voyage sans le moindre objectif défini, sans la moindre protection et préparé un peu naïvement. Elle n'hésitait donc pas à mettre les pieds dans le plat pour lui tirer les vers du nez.
Louve parut vaguement menaçante, sa posture faussement nonchalante dissimulant mal la puissance qui vibrait sous sa peau. Personne ne savait comme elle faire se sentir Morrigan comme si elle avait de nouveau cinq ans et projetait d'emprunter les passages obscurs qui menaient sous la tour. Se mordillant la lèvre dans une attitude qui devait trahir une certaine culpabilité, elle cligna des yeux pour affronter son regard. Leurs visages étaient à un souffle l'un de l'autre et Morrigan dut fournir un effort physique pour ne pas réagir à sa présence envoûtante, à la chaleur de ses doigts à travers sa chemise de nuit, et à sa respiration humide contre son cou. Son corps, se manifesta bien sûr... Sa poitrine se tendit et son visage vira à une charmante teinte pivoine. Morrigan ignora ces manifestations pour se concentrer sur les mots de Louve.

Elle reprit la parole d'une voix un peu boudeuse :
- Je ne t'ai pas menti... A proprement parlé. Je n'ai aucune intention d'aller où que ce soit, "maintenant".
Certes, elle était quelque peu de mauvaise foi. Néanmoins, elle ne voulait pas que Louve se comporte avec elle de façon maternelle. Sa mère était morte et Morrigan était trop grande à présent pour qu'on espère la traiter comme une enfant. Rien que pour cette raison, elle envisagea un instant de lui montrer qu'elle était bel et bien une femme à présent. C'aurait été stupide. Et totalement inutile...
Son ton se voulait hautain et ducal quand elle continua :
- Et je ne vois pas pourquoi j'aurais dû cacher mon sac. Si j'ai envie de préparer un sac de voyage, j'ai tout à fait le droit.
Débat clos. Morrigan avait la conscience tranquille et elle ne voyait pas ce que Louve pouvait avoir à y redire. C'est donc de façon totalement arbitraire qu'elle changea de sujet. Elle passa ses bras derrière la nuque de Louve qu'elle ramena au dessus d'elle pour plonger son regard dans le sien. Lui accordant son sourire le plus insouciant, elle demanda :
- Donc, ces souvenirs ?
Les franges du châle de Louve lui chatouillaient les cuisses et elle sentait sur sa jambe la caresse de son pantalon, le tissu, si fluide qu'il paraissait liquide entre leurs peaux. Morrigan s'agita un peu, soudain tendue. Oh oui... C'est vrai... Elle n'était plus une petite fille et Louve était toujours cette splendide jeune femme. La duchesse se demanda s'il était vraiment judicieux de lui manifester son affection de cette façon directe et intime. Ce qui était innocent quand elle était enfant l'était de moins en moins à mesure que le temps passait et que Morrigan était confrontée aux besoins de son corps et aux changements dans le regard des gens qui la connaissaient.

Louve se laissa glisser sur Morrigan, se maintenant appuyée sur les coudes et sur les genoux au-dessus d’elle. Tout naturellement, ses cheveux glissèrent autour de leurs deux visages créant un voile entre elles et le reste du monde, accentuant l’intimité régnant déjà dans la pièce. Elle ne fit rien pour les dégager, absorbée par le visage de Morrigan, ses pommettes teintées d’une délicate rougeur, sa bouche entrouverte et humide réclamant qu’elle vienne s’occuper de la faire rougir plus encore.

Perturbée par sa proximité, Louve avait du mal à réfléchir. Leurs bassins étaient presque collés par la position que Morrigan avait initiée, et sa poitrine effleurait la sienne au rythme de sa respiration un peu trop rapide pour ne pas être naturelle.

- Tu sais que ce n’est pas en usant de ton don que tu parviendras à me faire oublier ma question ?...

Pourtant Louve ne pouvait guère se concentrer sur autre chose que son cœur palpitant dans sa poitrine, la douce courbe des lèvres de sa protégée, ses cils voilant son regard, ses pommettes appétissantes... Tout en elle l’attirait comme un aimant, et elle aurait accepté n’importe quoi pour pouvoir goûter au moins une fois cette bouche tendre, rose, qu’elle imaginait sucrée et terriblement réceptive quand elle y poserait doucement la sienne...

Passant sa langue sur ses lèvres, Louve remonta le regard jusqu’aux yeux ombrés de Morrigan pour se perdre dans leur étendue bleutée. Désespérée par le désir qui montait sourdement en elle, Louve déglutit avant de lâcher, entre grognement et gémissement :

- Si je t’embrasse, ce sera ta faute !

Louve était de mauvaise foi, elle le savait. Cela faisait bien seize ans qu’elle luttait contre le pouvoir de Morrigan, sans se laisser atteindre par l’étincelle vibrant tout autour d’elle, résistant à ses moues de supplication, et évitant une manipulation bienveillante... Simplement, il y a seize ans, l’adorable gamine ne possédait pas ce charme ravageur et loin d’être innocent, et ce qui était une affection innée s’était peu à peu transformé en quelque chose de plus confus, entre désir, amour et amitié, sans réel discernement entre ces sentiments...

Son regard toujours plongé dans le sien, Louve prit une légère inspiration avant de le laisser dévier le long de l'arrête de son nez pour rejoindre sa bouche délicieuse.

- Distrais-moi, chuchota-t-elle alors qu'elle se sentait sur le point de se soumettre au désir puissant qui lui ordonnait de faire de ces lèvres, son terrain de jeu.

Un don ? Quel don...? Morrigan était incapable de penser à tout ce qui n'était pas Louve. Mais si elle l'avait été, elle n'aurait certainement pas appelé ainsi cette... "chose". C'était une malédiction qui ne lui avait attiré que des ennuis et ce depuis toujours. Si elle avait vraiment analysé la question, peut-être se serait-elle rendu compte que son don lui avait aussi permis au fil des années d'obtenir bien plus facilement ce qu'elle désirait. Mais Morrigan ne voyait pas cela. En ce qui la concernait, cette chose se manifestait quand le sang commençait à couler, les coups à voler et quand les mains se refermait sur ses poignets.
S'entendre dire maintenant que son don était pour quelque chose dans les sentiments coupables de Louve, une femme qu'elle respectait, admirait et aimait pour ainsi dire depuis toujours, c'était comme recevoir une gifle pour Morrigan. Surtout prétendre qu'elle aurait pu l'utiliser exprès, elle qui aurait préféré naître sans ce "don" qui était comme une épine dans son flanc depuis tant d'années.

Bien qu'elle tentât de retenir les signes qui auraient pu trahir la douleur qui lui fouaillait la poitrine, Morrigan savait qu'elle rougissait. Ses yeux étaient plus brillants et elle avait légèrement remonté le menton. Mais de toute manière, la jeune fille savait que Louve ne serait pas dupe. N'avait-elle pas un don pour ressentir les émotions des autres ?
C'est pour ça qu'au lieu de faire comme si de rien n'était, elle ne prit pas la peine de faire semblant avec Louve, juste d'atténuer un peu les symptômes sur son visage. Néanmoins, Morrigan se glissa hors de l'étreinte de de l'ange déchue. Elle quitta le confort de son lit et gagna la porte dont elle ouvrit le battant.

- Tu veux de la distraction. D'accord : dehors. De toute façon, s'enfuir, c'est que font les gens lâches, n'est-ce pas ? Car tu es bien lâche, Louve, non ?

Ses yeux devinrent brillants et pour ne pas pleurer, elle serra les dents et fixa un bouquet de fleurs sauvages qui décorait une console à l'entrée de la pièce. Sa voix était plus tranchante qu'à son habitude, plus qu'elle ne l'avait jamais été peut-être, mais c'était ça ou laisser de pathétiques sanglots l'étouffer.

- Sinon tu ne prétendrais pas que c'est de ma faute... Tu sais que je n'ai jamais, jamais utilisé cette chose... Volontairement surtout !

Elle lança un regard en coin chargé de culpabilité à Louve. Jamais volontairement... Mais il aurait fallu être sourd ou aveugle pour ne pas savoir que son don n'avait pas besoin d'être activé et préférait prendre les choses en main.

- Encore moins sur toi... souffla-t-elle piteusement.

Morrigan saisit sa lèvre entre ses dents pour l'empêcher de trembler. Et pour s'empêcher elle de faire quelque chose d'encore plus stupide comme se jeter au cou de Louve pour lui demander pardon de cet éclat et de la consoler, pour la supplier de lui dire qu'elle ne lui en voulait pas et savait qu'elle ne voulait pas de ce don.
Mais non. Si Louve la pensait vraiment capable de ça, elle ne voulait pas supporter son mépris, pas venant d'elle. Combien parmi ceux qui connaissaient l'existence de son don, pensaient qu'elle l'utilisait pour parvenir à ses fins ? Louve avait toujours été là pour la protéger de ce genre de choses...
Peut-être, comme Morrigan l'avait tout d'abord pensé, Louve ne croyait-elle pas réellement à cette accusation. Dans ce cas, Morrigan ne voulait pas être confrontée à l'idée que Louve ait pu lui faire du mal -volontairement ou involontairement, elle lui accordait le bénéfice du doute-. Elle préférait encore lui demander de partir et effacer cette discussion de son esprit.
Comment ce qui avait été un si délicieux moment, les retrouvailles dont elle avait rêvé, pouvait avoir viré au cauchemar alors que tout son corps était encore échauffé par la présence de Louve, son odeur de forêt et ses gestes doux ?

En une seconde, Louve se retrouva seule sur le lit. Éloignée la chaleur bienfaisante et tentatrice, éloignée le corps doux et tendre qu’elle rêvait de posséder... Alors que le manque d’elle se faisait sentir, Louve appuya son front sur la couverture, couvrant son visage du regard de Morrigan. Lâche ?... La colère monta en Louve en même temps que la culpabilité. Est-ce que vouloir éviter les ennuis était signe de lâcheté ?! Non ! Cela faisait mille ans que Louve expérimentait la vie, et quatre-cents à vivre auprès des mortels. Elle avait appris, bien à ses dépens, que quand s’approchait un ennemi plus fort que vous, il valait mieux fuir et rester en vie que combattre et mourir.

Et elle aimait profondément Morrigan, quoi qu’elle ait pu en dire. C’était une part de sa vie à laquelle elle n’aurait pu renoncer. Bien sûr Morrigan était mortelle, et un jour ou l’autre, elle la perdrait. Mais elle préférait mille fois la protéger tout au long de sa vie que risquer d’être éloignée d’elle par une stupide affaire d’attraction. Oui, Louve avait envie d’elle au fond d’elle-même, et oui, son don n’y était pour rien, ou pour si peu... Mais est-ce que céder à cette envie leur apporterait plus ou est-ce qu’au contraire, Morrigan la renierait et refuserait sa compagnie ? Pouvait-elle risquer ce qu’elle avait de plus précieux pour l’espoir d’avoir mieux encore ?...

Son corps trembla sous la puissance de sentiments qui se dégageaient d’elle et de Morrigan. La tension était palpable, et comme à chaque fois qu’elle se sentait en danger, les tatouages dans son dos la démangeaient, fourmillant d’envie de laisser s’échapper ses ailes pour s’enfuir. Malgré le temps, malgré les blessures, malgré leur inutilité, elles avaient encore l’instinct de jaillir de leur écrin de chair, de déchirer sa peau pour se déployer autour d’elle, éclatantes de noirceur, aux reflets moirés et époustouflants. Parfois, au combat, la surprise de son assaillant lui permettait de porter un coup décisif. Parfois... Car la majorité du temps son esprit n’était qu’une brume opaque qui parvenait à peine à distinguer la douleur de la rage du combat...

Louve lutta quelques instants, se concentrant sur les mots de Morrigan pour ne pas exploser. Elle sentait les ailes se mouvoir sous sa peau, cherchant à sortir, cherchant à se repaître de la lumière de la pièce. Louve les haïssait. Sans elle, Morrigan n’aurait jamais pu être consciente du tumulte de sentiments qui tourbillonnait en elle. Elle aurait cru à la froideur qu’elle aurait affiché, et au bout de quelques jours, elle se serait excusée et se serait débrouillée pour lui faire oublier ce bref instant où elle avait failli céder à sa tentation.

Mais les ombres noires qui jouaient sous son dos ne laissaient aucune place au doute. Elle perdait pied, comme il lui arrivait parfois et qu’elle ne savait plus se contrôler. Sa mâchoire se crispa, de même que tous ses muscles alors que son esprit s’embrumait dans des considérations trop obscures pour être supportées par un esprit humain. Son regard si bleu s’assombrit, alors que, relevant la tête, Louve effleura du regard la silhouette de Morrigan se découpant dans l’ombre de la porte. Ses yeux brillaient, son attitude était fermée et ses dents martyrisaient sa lèvre innocente.

Tremblante, Louve luttait contre la culpabilité. Elle ne voulait pas lui faire du mal mais Morrigan n’avait pas le droit ! Elle ne pouvait pas avoir de sentiments pour elle... Tous ceux qui l’avaient un jour aimé étaient morts. Assassinés... Dépecés... Elle n’apportait pas le bonheur, mais le désespoir. Elle aurait du s’éloigner d’elle, mais la seule certitude que sans elle Morrigan serait encore plus téméraire l’avait convaincue de revenir de temps à autre...

Morrigan... Morrigan... Morrigan... Côme... Nix... Linus... Morrigan.

Qu’est-ce qu’elle avait raté ?! Pourquoi est-ce qu’elle avait ouvert la bouche ? Pourquoi ne s’était-elle juste pas contentée de reposer la question... ? Elle avait le choix entre la perdre à tout jamais pour ne plus faire partie de sa vie, ou s’impliquer. Expliquer... Mais qu’expliquer ?! Tout était si complexe qu’elle doutait de pouvoir transcrire dans un langage humain ce qui la tourmentait...

Elle n’était pas saine, elle en était consciente. Son esprit était toujours à la limite de la folie, et si elle ne plongeait pas, c’est parce qu’elle se forçait à rester occupée et à ne pas réfléchir à qui elle était, ce qu’elle était, ce qu’elle représentait encore et ce que sa vie signifiait...

En un battement de cil, elle fut face à Morrigan, ses yeux plongés dans les siens plein de larmes. Louve ne voulait pas la faire souffrir. Elle ne voulait pas qu’elle souffre. Pourtant c’était tellement dur de mettre des mots sur ses sentiments. Si ceux de Morrigan étaient clairs comme de l’eau de roche : trahison, souffrance, colère, sensation de perte et d’autres à la couleur si terne, les siens étaient diffus et innommables...

Sa main glissa sur la joue de Morrigan et elle appuya son front sur le sien, pour murmurer, la voix déchirée par son dilemme intérieur :

- Je... suis... Je ne peux pas... Si je fais ça...

Elle prit une longue inspiration et cala son front contre son épaule.

- Je ne voulais pas dire ça... Je sais que ce n’est pas toi... Je voudrais juste que ce soit le cas... ça serait plus facile de ne pas...

Louve hésita sur le choix de ses mots, crispant son autre main sur le tissu de la chemise de nuit de la jeune femme, tout contre sa hanche.

- Je ne veux pas te perdre... chuchota-t-elle perdue dans les tréfonds de son âme. Pas toi... Et si je... Si je t’aime. Tu vas disparaître comme eux...

Des larmes s’amoncelèrent dans les yeux de Louve. Elle n’avait jamais pleuré en présence de qui que ce soit, et elle ne pouvait pas commencer. Elle ne devait pas se montrer faible... Elle devait être forte, et s’éloigner d’elle, pour son bien...

Les jointures de ses mains blanchissaient tant Morrigan serrait fort la porte entre ses doigts. Il faut dire que c'était ça où se jeter au cou de Louve. Elle avait eu le malheur de la regarder quand elle s'était avancée jusque devant elle et cela avait suffit à réveiller de plus belle le besoin qu'elle avait d'elle et de sa présence. Son regard était obscurci par des nuages que Morrigan ne pouvait interpréter que comme du doute, des tourments, bien trop complexes pour qu'elle les appréhende.
Leur différence d'âge n'était pas que des deux ou trois ans qui paraissaient à les voir -encore que Morrigan fit plus jeune que son âge de sorte qu'on aurait pu parler de six ou huit ans de différence en les observant l'une à côté de l'autre. Mais à la vérité, des siècles d'expérience les séparaient. Louve avait vu et vécu bien des choses dont Morrigan n'avait pas idée et jusqu'à présent, son amie ne lui avait jamais parlé des évènements qui avaient influencer sa vie.

Ses paupières s'abaissèrent à l'approche de Morrigan. Elle savoura sa présence, tentant d'oublier ses propres doutes sur son don et les hésitations qui tourmentaient Louve. Si elle lui faisaient ses adieux maintenant, Morrigan serait seule pour de bon. Il n'y aurait plus de soirées passées à écouter ses aventures, plus de silencieuse compréhension, de tendres réprimandes ou de câlins simples et tendres. Et il n'y aurait plus cet éclat dans ses yeux qu'il y avait eu ce soir et qui avait tout changé.
Elle ne savait pas si elle devait être rassurée parce que Louve ne croyait pas qu'elle avait utilisé son don sur elle ou si elle devait être attristée que la Bannie souhaitât qu'elle l'eut fait. Jamais jusqu'à ce jour elle n'avait entendu Louve hésiter autant sur ses mots et Morrigan devait lutter contre l'envie de la prendre dans ses bras pour la consoler. Mais elle ne voulait pas donner l'impression d'essayer de l'influencer... Louve devait choisir elle-même et faire seule le tri dans ses sentiments.

Morrigan ne savait pas ce qu'elle espérait. Elle voulait que les choses redeviennent comme avant, elle voulait savoir qu'elle pourrait toujours compter sur Louve pour se soucier d'elle, prendre soin d'elle et veiller sur elle... Mais aujourd'hui, Morrigan aurait aussi souhaiter pouvoir être là pour Louve et représenter plus pour elle qu'un fardeau ou une petite créature à protéger.
Evidemment, en fin de compte, Morrigan ne put tout simplement pas rester là sans rien faire alors que Louve semblait si perdue et vraisemblablement par sa faute. Elle posa la main sur sa taille nue, la caressant du bout des doigts. Son autre main glissa sous ses cheveux pour masser doucement sa nuque.

- Calme toi, mon ange.... Tout va bien... Je ne vais pas disparaître ! Ou alors ce ne sera pas de ta faute mais de celle de ma malédiction qui aura convaincu un imbécile quelconque de me kidnapper et de m'enfermer dans une chambre...

Tentant maladroitement d'alléger l'atmosphère, Morrigan se complaisait à rire d'elle-même. Tout plutôt que de voir Louve dans cet état plus longtemps. Sa bouche trouva ses cheveux, sa joue et parsema son visage de légers baisers.

- Tu sais... Je mourrais bien un jour. Le plus tard possible si on me demande mon avis... Mais si tu pars, ça ne me rendra pas immortelle... Juste seule...

Louve regardait Morrigan, le regard empli de doute. Son toucher la perturbait et l'empêchait de réfléchir correctement. Et les Dieux savaient qu'en temps normal, son esprit était plus rempli que la cheminée d'un volcan sur le point d'entrer en éruption. Ses doigts contre sa taille étaient chauds, et, sous ses cheveux, sa main était douce alors qu'elle caressait sa nuque comme personne ne l'avait jamais fait... La sensation était enivrante, comme si tout son corps obéissait à cette simple caresse, bien plus qu'aux mots qu'elle prononçait. Son esprit se vidait lentement, malgré le soupçon de protestation qui naissait au fond d'elle, lui disant de lutter, de ne pas se laisser convaincre, que les arguments que Morrigan avançaient ne devaient pas la faire plier. Elle allait mourir, mais si elle restait, ce serait sa faute...

De sa bouche s'échappa un soupir, entre reddition et contrariété, frustration et plaisir. Pourquoi ne répliquait-elle pas ?! Pourquoi ne lui disait-elle pas tous les mots qui brûlaient ses lèvres quelques instants plus tôt ? Pourquoi rester si faible face à ses mains ravageuses ?...

Même ses baisers effleurant son visage ne devraient pas avoir cet impact sur elle. Pourquoi tant de faiblesse face à cette femme ? Oui elle était belle, oui elle la désirait, oui... Oui probablement même elle l'aimait. Peut-être pas encore comme une âme soeur, mais un jour probablement... Elle le pourrait... A moins qu'elle parte. Mais en était-elle vraiment capable ? Pouvait-elle s'éloigner, la laisser seule, alors que n'importe qui pourrait lui faire du mal ?

- Moi vivante personne ne t'enfermera nulle part, trouva-t-elle la conviction de chuchoter à travers le trop grand calme qui coulait désormais en elle.

Sa main sur sa hanche s'était adoucie, et elle glissa lentement dans le creux de ses reins, tandis que l'autre venait la rejoindre. Son visage s'enfouit dans son cou, sur son épaule, et Louve la pressa contre elle avec délicatesse, apaisée par ce quelque chose qui se dégageait d'elle et la faisait toujours se sentir chez elle.

Sans pouvoir s'en empêcher, ses lèvres glissèrent sur son épaule, à la lisière de sa nuque, et elle déposa ici de petits baisers chauds, tendres, sans insistance, lui offrant juste l'excès de sentiments qui débordait en elle...

Le corps de Morrigan réagissait à l'étreinte de Louve, à ses doux baisers, avec une spontanéité qui relevait de l'instinct animal. Il n'y avait aucun volonté raisonnée de se presser contre elle, de pencher la tête pour lui faciliter l'accès. C'était par pur réflexe que sa bouche s'entrouvrait sur un soupir tremblant...
La jeune fille avait déjà connu les prémices du désir, mais jamais elle ne s'y était abandonner autant. Il y avait toujours le risque que la passion éveillée chez les autres ne soit dû qu'à son don et elle ne voulait pas satisfaire ce qu'elle considérait comme une pulsion artificielle. Mais Louve, c'était différent... Encore un peu, juste un tout petit peu plus...
A ce stade, elle retirait toute parole ayant pu insinuer qu'elle voulait le départ de la Bannie. Du pied, elle repoussa le battant de bois sombre qui se referma silencieusement, avec juste un petit "clic" quand la pêne trouva son logement. Ca ne lui semblait pas trop présomptueux de penser que Louve comptait rester. Frottant sa joue contre les cheveux si doux, Morrigan affermit ses mains, l'incitant à rester près d'elle. Elle voulait que son odeur sauvage s'imprègne dans sa peau et dans ses cheveux, elle voulait sentir l'empreinte de ses mains froisser le tissu délicat de sa chemise de nuit.
- Ca veut dire... commença-t-elle, légèrement essoufflée. Ca veut dire que je peux partir...?
On avait l'impression qu'elle demandait l'autorisation à Louve d'entreprendre son voyage. Ce n'était pas tout à fait ça. Envers et contre l'avis de l'ange déchue, Morrigan partirait, même si Louve n'était pas d'accord. Mais cela la peinerait si elle devait savoir que son amie ne la soutenait pas. Au contraire, avoir son approbation et ses encouragements la rassurerait. Elle avait beau faire bonne figure et être excitée à l'idée de tout ce qu'elle verrait et découvrirait, elle ne pouvait s'empêcher de songer à tous les dangers qu'elle pourrait rencontrer.
Généralement, pourtant, le risque encouru ne l'inquiétait pas bien longtemps. Immanquablement, Morrigan songeait que les chances n'étaient pas bien grandes que le monde décide de lui envoyer ses fléaux. Ce qui ne l'aurait pas empêché d'apprécier un soutien inconditionnel de son amie.
Le "encore un peu" se prolongeait légèrement. Les mains de Morrigan glissaient dans son dos, glissant sous la brassière pour en explorer l'étendue. Appuyée au battant de la porte, elle se mordilla la lèvre pour retenir un gémissement fort peu opportun. Elle avait l'impression que si elle trahissait son émoi, Louve la regarderait différemment...
Il lui fallut toute sa force de caractère pour se glisser hors de l'étreinte. Morrigan prit le temps de ranger sa lecture, tombée au sol, sur la table de nuit et d'éteindre les bougies les plus éloignées du lit, en profitant pour reprendre sa respiration. Quand elle pensa pouvoir faire confiance à sa voix, elle se dirigea vers une commode sombre et commença à fouiller dans un tiroir en lançant :
- Et ces souvenirs...?
Elle était bien décidée à reprendre la conversation sur le ton plaisant et insouciant qu'elle avait avant. Tirant du tiroir une nouvelle chemise de nuit, elle l'étendit sur le lit à l'intention de Louve. Le vêtement était sans manche, légèrement décolleté, mais plus longs que le modèle qu'elle portait actuellement. Il lui arrivait presque à mi-tibia mais devrait paraître plus court sur les longues jambes de la bannie. Morrigan pouvait s'enorgueillir d'appâts plus que satisfaisants -légèrement plus conséquents que ceux de sa compagne- de sorte que le haut de la chemise n'étoufferait pas Louve.
Ouvrant largement le lit -des deux côtés, signe qu'elle s'attendait à ce que la bannie la rejoigne-, Morrigan sauta sur le matelas à la fois ferme et moelleux et prit sa brosse pour se démêler les cheveux. Il s'agissait d'avantage de s'occuper les mains qu'autre chose...

Un instant plus tôt, Morrigan était dans ses bras, caressant la peau nue de son dos, de ses hanches, l’étreignant contre elle, sa bouche posée contre son épaule. Et celui d’après, elle était seule contre la porte. Louve s’adossa contre celle-ci, la regardant évoluer à travers la pièce pour éteindre les bougies et récupérer une chemise de nuit pour elle. Sans répondre, elle observait ses gestes gracieux, alors que s’échappait d’elle des effluves de sentiments aux parfums variés.

Une fois qu’elle fut installée sur le lit, Louve s’approcha, saisissant la fine chemise de nuit entre ses doigts, et regarda Morrigan d’un air sceptique. En vérité, elle avait plus l’habitude de dormir nue ou toute habillée. Même si elle avait quelques frivolités de ce genre pour attirer ses amants dans sa couche.
Alors que Morrigan commençait à brosser ses cheveux, Louve saisit sa sacoche et la lança sur le lit à côté de la jeune fille.

- Regarde par toi-même...

Lui tournant le dos, Louve retira sa brassière, découvrant entièrement son dos de sa nuque à sa chute de rein, ses tatouages s’épanouissant largement sur ses omoplates. Dénouant le foulard autour de ses hanches, Louve le jeta derrière elle sur le lit avant de se pencher pour retirer ses chaussures et dénouer les liens maintenant son pantalon resserré aux chevilles. Elle n’était pas particulièrement pudique, et par-dessus tout, elle n’était pas inconsciente de la volupté de son corps... Retirant enfin le tissu volatile, Louve couvrit à peine ses seins de son bras pour attraper le vêtement derrière elle. Tout en se faisant, Louve consentit enfin à répondre :

- Je n’ai pas à te dicter ta conduite, tu peux aller où bon te semble. Mais je viendrais avec toi...

Une vérité simple, claire, précise, rien à discuter. Morrigan ne partirait jamais seule, elle serait avec elle, à côté d'elle, prête à massacrer la première personne qui ne ferait qu'effleurer le premier de ses cheveux...

Une fois habillée – si on pouvait appeler cela un « habit »... – Louve se retourna et franchit la distance la séparant du lit pour s’asseoir à côté de la jeune femme, tirant sa peau de loup jusque sur ses genoux, incapable de la laisser trop loin. La chemise qui l’habillait était dotée de fines bretelles, laissant deviner la forme de sa poitrine et s’évasant en un tissu léger et quasi transparent autour du ventre et des cuisses de la jeune femme. De quoi affoler n’importe quelle créature...

Morrigan ne se fit pas prier pour délaisser la brosse au profit de la besace de cuir. Assise en tailleur, elle déposa les paquet entourés de tissu l'un après l'autre devant elle. Le premier qu'elle prit était assez lourd mais relativement petit. Elle s'apprêtait à le déballer quand Louve lui tourna le dos et commença à se dévêtir devant elle, tout prêt... Ses mains se figèrent sur la toile grossière nouée d'un ruban. Les yeux de la duchesse étaient attirés par l'étendue de son dos. Les lignes d'encres qui barraient son dos lui avaient toujours parues magnifiques mais ce soir elle aurait voulu profiter de leur intimité au goût si particulier et neuf pour les étudier de plus prêt.
Dans la pénombre, elle vit le châle frangé se mouvoir, tâche pâle qui ondulait comme une flamme jusqu'à tomber, délaissée au sol. Le pantalon était toujours aussi transparent et la pièce eut-elle était plus éclairée, Morrigan aurait pu tout voir de la magie de ses hanches. Dans un sursaut, elle fixa toute sa concentration sur le petit paquet entre ses mains. Ignorant les bruits de tissu qui venait du bout de son lit, elle défit de ses doigts tremblants tous les rubans, lissant les emballages en pile bien nette.
Devant Morrigan s'alignèrent bientôt une série d'objets variés, tous plus précieux les uns que les autres. Elle passa à son poignet un délicat bracelet d'or serti de saphirs, d'améthystes et d'aigues-marines. Dans sa paume, elle fit glisser d'un petit sac des perles parfaites : roses, grises, ivoires, certaines presque aussi pâles que sa peau. Elle les remit dans le sac en veillant à ne pas en oublier une seule. Les doigts de Morrigan caressèrent ensuite un petit livre, relié de cuir et doré, la suite d'un roman qu'elle cherchait depuis plus d'un an. Il y avait aussi une petite ceinture, parfaire pour accueillir sa dague ainsi qu'un voile bleu nuit brodé d'or.
Morrigan avait déjà entendu parler de ce genre de voile, c'était ce genre de choses que portaient les concubines du continent de l'Est dans ces légendaires harems... Ce qui était certainement une blague de Louve à la base prenait un tout autre tour après leur discussion et leur tendre étreinte.
La jeune femme posa ses présents sur sa table de nuit et son regard vint naturellement se reposer sur la bannie, juste à temps pour voir sa chemise de nuit glisser le long de ses courbes pour voiler à peine ses charmes. Sa bouche était sèche et elle dût déglutir avant de parvenir à comprendre ce qu'elle lui disait.
- Tu veux venir...?
Les aventures qu'elle se préparait serait certainement bien peu intéressante comparées à celles que l'ange déchue avait déjà connues. Pas qu'elle refuse sa présence. Elle serait toujours heureuse de l'avoir à ses côtés. Mais elle ne voulait pas que Louve se force et que sa présence devienne un fardeau.
Louve la rejoignit sur le lit et Morrigan laissa son regard admirer son corps que recouvrait à peine le vêtement de nuit. Avait-elle l'air aussi licencieux quand elle portait cette chemise. Louve aurait pu déclencher une guerre tant elle était belle et évocatrice.
Se rapprochant tout contre sa compagne, Morrigan passa ses bras sur les épaules dénudées et embrassa sa joue douce et fraîche. Incapable de s'éloigner, elle la poussa contre la tête de lit, et s'installa sur son épaule.
- Merci pour tous ces cadeaux... Ils sont magnifiques !
Aucun courant d'air ne pouvait pénétrer dans la chambre mais la jeune fille frissonna et se pelotonna contre Louve pour absorber sa chaleur.

Sous l'étreinte de Morrigan, Louve posa la brosse sur la table de nuit de son côté et tira la couverture sur elles pour les protéger du froid. Elle glissa ses bras autour d'elle pour la rapprocher un peu, caressant doucement ses cheveux dans son dos. Fermant les yeux, elle plongea son visage dans sa chevelure lustrée, envahie par sa délicate odeur de jasmin.

Installée sur des draps fins, recouverte d'une couverture chaude et confortable, avec dans les bras une merveilleuse jeune femme, Louve ne voulait être nulle part ailleurs... Elle soupira doucement, et murmura tout contre son crâne :

- Oui je veux venir... J'ai beaucoup pensé à toi ces derniers jours, ces derniers mois... Je me suis dit... que si tu avais été avec moi, le voyage aurait été tout autre. Quand j'ai acheté ces perles, je me suis dit que tu aurais aimé les choisir toi-même, et voir la mer qui les faisait naître... Quand j'ai vu ce bracelet dans les mains de l'artisans, tu étais là, tu lui posais mille questions sur sa fabrication. Et quand tu as trouvé ce livre à ma place, tu souriais tellement... Et la ceinture... Tu m'aurais tanné des heures pour que je l'achète, j'aurais joué le jeu et cédé au bout d'un moment... Je serais allée danser avec ces femmes, pour en gagner le prix. Tu m'aurais regardé toi aussi... Tu aurais été jalouse. Et puis je t'aurais pris ce voile avec pour me faire pardonner.

La voix de Louve vibrait dans la pénombre mordorée alors qu'elle racontait ce qui lui avait traversé l'esprit ces derniers mois... Non pas un voyage en solitaire, mais un voyage à deux, avec elle, sur les routes de l'Est... Elle se l'était représentée de nombreuses fois. A ses côtés, main dans la main sur les routes poussiéreuses mais éclatantes du soleil qui brillait au dessus d'elles. Devant elle, sur la jument qui l'avait menée aux mers turquoises. Dans son lit quand elel s'arrêtait dans une auberge pour une nuit, ou par terre à côté du feu quand elle bivouacait. Elle avait été là tout le temps, hantant ses pensées comme elle n'aurait jamais du le faire.

- J'aime l'Est, chuchota-t-elle encore. Je voudrais y vivre. Les gens sont plus chaleureux. Ils ne voient pas tes différences... Mêmes les inhumains ne font pas preuve d'autant de cruauté. Le soleil brille toujours, il fait chaud... Tu peux te baigner, la mer est presque toujours prête à t'accueillir... Les vagues sont douces, si tu te livres à elles...

Louve revivait ces souvenirs avec intensité. Oh oui, elle aimait l'Est... Tout semblait plus doux là-bas, les souvenirs douloureux s'estompaient, la fin et le froid aussi... Elle savait qu'elle ne pourrait jamais y rester perpétuellement pourtant. En tout cas pas tant que Morrigan était vivante. Morrigan vivait à l'Ouest. Elle ne pouvait pas partir... Et elle ne partirait pas sans elle...

Bientôt pelotonnée contre Louve dans un cocon de chaleur, Morrigan savoura cette sensation. Il lui était déjà arrivé au fil des années de dormir avec l'ange déchue, mais elle n'avait jamais réalisé le plaisir qu'on pouvait avoir à simplement partager son lit avant aujourd'hui. Louve lui apportait toute la chaleur, toute la douceur dont elle était privée depuis tellement de temps. C'était fou de penser que ce manque existait pour ainsi dire depuis toujours mais qu'il avait fallu à Morrigan que ses parents meurent pour réaliser sa solitude.
Bercée par ses mots, elle avait fermé les yeux pour laisser les propos évocateurs de Louve faire naître autant d'images sur l'écran de ses paupières. Force lui était d'admettre qu'elle adorait tous les présents que lui avait offerts Louve, et que les réactions qu'elle lui attribuait étaient tout-à-fait vraisemblables pour la plupart. La voix de Louve était douce et les mots qu'elle choisissait était tout spécialement sensuels. Ce qu'elle entendait lui paraissait délicieusement exotique...
Morrigan imaginait la foule, les bruits, les odeurs d'épices et toutes ces choses brillantes et colorées dont elle avait seulement entendu parler dans les livres. Le château des Engloutis était empreint d'un silence particulier, rompu de loin en loin d'un écho de bruits de pas ou de chuchotements indistincts. Elle leva les yeux sur Louve, lui lançant un regard plein d'espoir, d'enthousiasme, et que son imagination avait rendu particulièrement brillant.

- On ira, dis-moi ? On ira partout !

Elle voulait voir le Continent du Sud verdoyant et chargé de parfums, le continent de l'Est si sec qu'on pouvait dire qu'il était l'opposé de tout ce qu'elle connaissait... Le Continent du Nord, foyer de sa mère... Et bien sûr, elle tenait plus que tout à explorer le Continent du Centre, là où, elle en était certaine, se trouvaient toutes les réponses au sujet de la mort de ses parents.
Mieux valait ne pas trop s'attarder sur cette question. La raison lui imposait de se préparer à l'éventualité qu'elle ne trouverait rien ou que ce qu'elle trouverait ne lui plairait pas forcément. Mais son optimisme naturel l'incitait à penser que tout s'éclaircirait sitôt qu'elle aurait mis un pied dans les vastes plaines du Centre... Le combat de son esprit et de son naturel étant du genre à ne pas admettre de vainqueur, il valait mieux que Morrigan ne le laisse pas même commencer.

Choisissant de revenir à un sujet différent, elle revint sur une chose qu'avait dite Louve un peu plus tôt. Sa connaissance des us et coutumes du continent de l'Est ne devait pas être si complète en fin de compte.

- Pourquoi serais-je jalouse de te voir danser...?

En fait, elle voyait mal le rapport avec le voile... Ses livres parlaient de palais fermés où les femmes sont gardés comme des bijoux. Elle pensait que les voiles servaient à dissimuler leur éclat à ceux qui n'étaient pas leur "propriétaire"... C'était pour elle des concepts confus et elle ne voyait pas le rapport avec la danse. A moins que... Tout à l'heure, Louve avait ondulé sous ses yeux au son d'une musique inaudible. Si elle parlait de danser comme ça, Morrigan serait trop fascinée, hypnotisée, pour pouvoir penser à quelque chose d'aussi trivial que la jalousie... Et pourquoi aurait-elle été... ? Mais c'était un cercle sans fin si Louve ne voulait pas l'éclairer. C'était elle qui avait vu le monde, c'était elle qui l'avait parcouru des siècles durant, n'était-ce pas à elle de la former ?

Louve sourit, attirant Morrigan contre elle pour respirer son parfum et lui offrir sa chaleur. Sous les draps, leurs jambes se frôlaient doucement, leur peau, à peine séparés par les tissus soyeux qui leur servaient de vêtements, se réchauffaient l'une à l'autre.

Louve chercha sa place sur le matelas, se calant contre un oreiller pour mieux enlacer Morrigan, sa tête appuyée contre son coeur. Caressant doucement ses cheveux, elle lui répondit tendrement :

- On ira où tu voudras Morrigan...

Sa main glissait lentement sur ses mèches, de son front jusqu'au bas de son dos et ses tendres rondeurs, laissant ses doigts frôler sa peau et le tissu qui la recouvrait.

Lentement, d'une voix légèrement voilée, Louve reprit la parole :

- L'Est... C'est le monde de la sensualité, de l'amour... mais aussi de la jalousie et de la possession. Les femmes se montrent, s'apprécient, les hommes les veulent ou les achètent... C'est un ballet de tous les jours où les corps se couvrent et se découvrent... Et la danse... est envoûtante.

Elle fit une légère pause pour lui sourire, caressant du doigt la courbe de son visage pour venir déposer une tendre pichenette sur sa bouche rouge et appétissante.

- Les femmes dansent à moitié nues, elles jouent avec le visible et l'invisible, leurs ventres se meuvent et embrasent les désirs des hommes... Le soleil brille sur leur peau et les fait paraître plus éclatantes, mais la nuit, elles sont mystiques, si belles et si sensuelles que les déesses en étaient jalouses...

Sans la lâcher du regard, elle continua à décrire :

- Leurs corps se meuvent avec animalité, leurs ventres semblent animés d'une volonté propre, leur seul but étant d'attiser le désir et la convoitise humaine. Tu ne peux pas rester insensible... Quand tu les vois... Mais quand tu es à leur place... C'est magique. Tu sens que tout le monde s'efface, tu ne sens plus que ton corps en transe, tes seins qui se dressent, ton ventre qui s'assouplit, tes hanches qui ondulent et tes jambes et tes bras deviennent comme l'océan. Tu connais l'emprise que tu as sur les gens, c'est le charme de cette danse. Mais tu n'en abuses pas. Tu te contente de charmer, de danser, d'onduler jusqu'à ce qu'ils oublient le reste. Tu sens ton coeur battre fort, vite, comme pendant l'amour. Et puis tu atteins l'apogée et tu t'écroules. Et une personne vient s'emparer de toi.

Ses doigts caressèrent la joue tendre et Louve inclina la tête pour poser ses lèvres au coin de celles de la jeune femme.

Chuchotant dans l'atmosphère vibrant, elle caressa l'oreille de sa protégée de son souffle.

- Tu n'as pas le choix... Celui qui t'as pris, il peut faire de toi ce que bon lui semble... Parfois les hommes se battent pour une femme...

La chaleur se faisait plus intense dans la pièce, comme attisée par les mots de Louve, sa voix suggestive ou ses caresses. Morrigan ne savait pas ce qui était le plus troublant comme idée : imaginer Louve à la place de ces danseuses sensuelles, pleines de pouvoir et femmes-objets à la fois... ? Ou au contraire se visualiser elle-même à la merci de la musique, du regard et même de la volonté d'autrui...

La bouche de Louve se posa au coin de ses lèvres, torturante. Par pure curiosité, Morrigan caressa l'idée de tourner légèrement le visage pour venir à la rencontre de ce délicat baiser. Comment serait-ce de sentir vraiment sa bouche sur la sienne ? Est-ce qu'elle sursauterait et la prendrait pour une folle ? Est-ce qu'elle prolongerait son baiser avant de reculer en riant ?
Morrigan resta immobile, sûrement de crainte qu'un mouvement de sa part ne réveille Louve et rompe la quiétude du moment... Ses paupières s'abaissèrent pour savourer son souffle humide contre son cou. Pour une raison inconnue, elle se sentait comme triste et impuissante. Elle avait le sentiment d'être assaillie sans espoir de résistance.

Son corps se tendit et elle dut rassembler toutes ses forces pour parvenir à trouver quelque chose à dire. La première chose qui lui vint à l'esprit fut de demander si elle avait dansé, elle aussi pendant son voyage... Mais cette question et son éventuelle réponse ne lui plaisaient pas vraiment. Elle prit donc soin de réfléchir un peu plus avant de parler, ses doigts jouant avec un ruban du corselet de la chemise de Louve.

- Je ne comprends pas... Comment peuvent-elles faire cela...? Comment peut-on accepter d'appartenir au premier venu?

Cela semblait totalement aberrant à la jeune fille. Elle, par exemple, ne pouvait sûrement pas imaginer d'être à la merci de quelqu'un qu'elle n'aurait pas choisi ! C'était déjà ce qui manquait de lui arriver chaque fois que son don décidait de se réveiller et c'était une expérience terrifiante. Comment pouvait-on se mettre volontairement dans cette position de vulnérabilité ?

Elle se demanda si les danseuses portaient le genre de tenues évocatrices que celle qu'avait ramenée Louve. Car si elle s'était affichée de la sorte, elle ne s'étonnait pas vraiment que l'on puisse vouloir se battre pour l'avoir. Louve était une femme sublime après tout ! Mais elle avait tellement plus d'expérience qu'elle-même... Elle devait sûrement la voir encore comme l'enfant qu'elle avait connu à cinq ans.

Pourtant, Morrigan avait bien grandi. Et outre le choc et la curiosité que lui inspiraient les histoires de la Bannie, Morrigan était aussi en proie à un sentiment naissant, tel un pincement dans son ventre. Quelque chose qui ressemblait à l'idée qu'elle se faisait d'un désir subtil. Autant dire, un sentiment qu'elle redoutait autant qu'il l'attirait.

Louve caressa encore la peau de Morrigan, sa douceur égalant celle qu'elle éprouvait autre fois en caressant son amant ou ses enfants sous forme de loup. Elle en aimait la texture ferme accompagnée d'une tendresse déconcertante. Elle était persuadée que ses lèvres connaissaient cette même douceur et qu'elle prendrait un plaisir sans précédent à les déguster.

Faisant mine de réfléchir à sa question alors qu'en réalité elle connaissait la réponse, elle enroula une mèche de cheveux noirs autour de son doigt, encore et encore, jusqu'à être en possession de toute la longueur qu'elle laissa glisser doucement pour former une anglaise fugitive. Abandonnant ses cheveux pour sa peau, Louve la glissa derrière son oreille et entreprit de dessiner les contours du visage de Morrigan.

- Ces femmes sont généralement des esclaves, ou des prostituées à leur compte dit-elle enfin. Des femmes de joie, mais de luxe. Elles séduisent les hommes, et sont en quelques sortes certaines que celui qui les gagnera sera celui qui la désire le plus. Ou alors un qui trichera et qui aura les moyens financiers de l'entretenir un certain temps.

La vérité était moins belle cette fois que quand elle racontait leur danse émouvante.

- Certaines femmes dansent aussi, de leur plein grès ou de celui de leurs époux. C'est parfois une façon de les punir que de les obliger à s'offrir à un homme, les plus forts ne sont pas toujours les plus tendres ou les plus beaux, et il s'agit parfois plus d'un viol que d'une tendre étreinte, ajouta-t-elle avec une moue réprobatrice.

Elle était ange et ange elle resterait. Certaines de ces pratiques ne la choquaient pas, mais d'autre mériteraient d'être réformées dans les moeurs et coutumes pour un plus grand respect des femmes.

Adoucissant la dur remarque d'une caresse de son menton, elle reprit, le coeur légèrement serrées :

- Quand les femmes s'offrent d'elles-mêmes, c'est lors d'une soirée spéciale, et dont les invités sont triés à la lettre. Elle choisit qui vient, et qui pourra devenir son amant ou son amante. Elle ne prend pas le risque de se réveiller dans les bras de quelqu'un dont elle ne voudrait pas les faveurs. Il arrive aussi que ceci se passe durant des fêtes prévues à cet effet. C'est une sorte de vente aux enchères... Les femmes se montrent devant un public, et chacun de ceux qui désirent prétendre à être leurs maris se présentent à elle. Elles refusent ou elles acceptent leurs participations, et puis elles dansent, pour tous, même ceux qu'elles ont refusé, mais ils ne peuvent essayer de la prendre.

Elle se souvenait des détails comme si elle y était encore. Dans la nuit, les flammes mouvantes projetaient des ombres délicieuses sur les corps des jeunes femmes en quête d'amour. Elle n'avait jamais participé à ces fêtes, sachant les enjeux, elle ne désirait pas se retrouver marier, juste profiter de la saveur de leurs peaux.

En revanche, des fêtes intimistes... Oui elle en avait profité, baignant au coeur des êtres qui ressentaient de violentes pulsions de désir, exacerbant le sien. C'était à peine si elle avait du se battre, personne n'ayant osé la confronter quand elle était monté sur scène pour récupérer le corps sans conscience de la maîtresse de maison, une séduisante humaine d'une trentaine d'années aux courbes harmonieuses et appétissantes.

Pour ne pas mentir, Louve avait même entraînée certaines des femmes de la pièce pour accompagner le plaisir de sa maîtresse... Cette nuit avait été à la fois tendre et voluptueuse, et quand elle était partie, ses amantes l'avaient supplié de rester. Sans qu'elles les écouta.

Ses doigts voltigèrent sur la peau de Morrigan, descendant sur ses bras et remontant jusqu'à ses épaules avec tendresse. Ses amants comptaient si peu par rapport au tendre corps appuyé sur le sien, et l'adorable esprit qui le visitait. Pour retrouver Morrigan, elle traversait le monde...

Ses bras se resserrèrent autour de la tendre jeune fille alors qu'elle fermait les yeux.

- L'Est est magnifique, mais les coutumes sont différentes des nôtres, conclut-elle.

La situation que lui décrivait Louve perdait de son glamour si on y regardait de plus près et Morrigan frissonna. Si l'on voyait les choses sous cet angle, forcément, la perspective que l'ange bannie ou elle-même se retrouve dans la position de la danseuse devenait plutôt terrifiante. Ce n'était pas de la jalousie qu'elle aurait ressenti si Louve avait dû danser, mais de la panique et l'inquiétude de ne pas être assez forte pour l'atteindre avant tous les autres pour la protéger.
C'est dans des moments comme ça qu'elle regrettait un peu de ne pas savoir mieux se battre. C'était à peine si elle savait tenir sa dague ou se positionner pour parer quelques coups lents. La culpabilité la tiraillait quelque peu. N'aurait-elle pas dû se forcer ? N'aurait-elle pas pu faire davantage d'efforts ? Mais pouvait-elle vraiment forcer sa nature ? Si elle avait fait preuve du minimum d'implication dans son apprentissage des armes, c'était tout d'abord parce qu'elle ne se pensait pas capable d'en faire plus, pas plus que de voler ou de transformer la paille en or. Et si ce n'était pas de son potentiel, tenter de forcer les choses eut été une perte de temps insigne.

Ca ne faisait pas d'elle une créature totalement impuissante, pourtant, non ? En tant que Duchesse de Curran, représentante de la cour de l'Ouest, s'en prendre à elle aurait pu être un motif de guerre, non ? Son nom et ses droits devaient bien lui apporter une protection en contrepartie de ses obligations à l'égard de son titre et de son roi ?
Mais les choses ne pouvaient être si terribles, elle soupçonna presque, l'espace d'un instant que Louve pouvait forcir le trait de son tableau pour tenter de la décourager de ses envies de voyager. Le mieux était sûrement de demeurer sur ses gardes tout en attendant de voir se monde par ses propres yeux. D'autant qu'elle n'était pas en droit de porter le moindre jugement. Ce n'était pas parce qu'une coutume locale lui paraissait étrange au regard de sa propre culture qu'elle était en droit de conclure sur une condamnation...

- Vraiment, je crois que j'ai beaucoup de choses à apprendre...

Ne serait-ce qu'à se préparer à tout ce que le monde pourrait lui présenter sur son chemin.
Les mains de Louve voletaient sur sa peau à travers la fine étoffe de sa chemise et finalement, la jeune femme la serra contre elle. Morrigan se laissa faire, laissant sa chaleur et ses main fortes et attentives à la fois faire disparaître la tension de ses muscles... Ses doigts tiraient machinalement le ruban de satin ivoire. Se détendant lentement, Morrigan sourit espièglement avant de lancer, l'air de rien :

- Je devrais peut-être apprendre à danser alors... Pour respecter les coutumes de l'Est quand nous irons là-bas...

Louve grogna instinctivement et tourna le visage de Morrigan vers le sien. Elle n'était pas vraiment habituée à laisser sa frustration rejaillir avec une telle évidence mais l'éventualité que Morrigan puisse danser et s'offrir en pâture à plusieurs dizaines de personnes plus dénuées de scrupules les unes que les autres la répugnait plus que l'idée de la voir arracher le coeur de quelqu'un à mains nues. Mais peu importe. Ni l'un ni l'autre n'arriverait.

- Si tu veux apprendre à danser, je t'apprendrais, lui murmura-t-elle à l'oreille. Mais tu n'auras ni d'autre professeur, ni d'autre public que moi...

Sa bouche effleura son front, jusqu'à son oreille, ses lèvres glissant sur sa peau avec douceur et sensualité.

- Même si je me fais suffisamment confiance pour arriver avant tous les autres.

Louve soupira doucement et roula pour rallonger Morrigan sur le dos et poser sa joue sur sa gorge, à quelques millimètre de sa poitrine à peine couverte du tissu léger.

- Je suis fatiguée, murmura-t-elle, ses yeux se fermant d'eux-même.

Certes sa constitution angélique était plus forte que la moyenne, mais le voyage, sans aucun arrêt ou presque, suivi du désir fulgurant de la posséder n'était pas fait pour lui permettre de garder la pleine maîtrise de ses mouvements.

Mine de rien, Morrigan faisait un excellent oreiller, et Louve bougea légèrement pour caler son corps contre le sien, passant un bras sur son ventre pour plus de confort. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas bénéficié d'un tel bien-être.

- Demain, chuchota Louve en s'assoupissant. Demain on discutera de ce voyage...